vendredi 19 août 2016

Le retour à la terre

Ils ont quitté leur vie de cadres bien payés (après avoir fait leur pelote, vous ne voudriez tout de même pas !) pour s'acheter un âne, une boulangerie, de la terre, une fermette et une conscience paysanne. 
Ils sont bio et locavores. 
Ils ne regardent jamais la télé, ce loisir de pauvre, ce pauvre loisir. 
Ils ont lu La Distinction, de Bourdieu et savent très bien faire la part des choses et de ce qu'elles trimballent comme marqueurs sociaux.
Ils ne résistent pas au plaisir de vous faire part de leurs incroyables découvertes sur la vie, leur vie, que vous savez ne jamais pouvoir mener, faute de blé, soyons clairs, et aussi, parce que vous n'êtes pas sûr de ne pas éclater de rire si d'aventure un tricothérapeute vous attaquait les écailles des cheveux à coups de couteau énergisants.
Ils rassurent tout le monde, parce qu'ils offrent une alternative douce et plutôt sympathique (même si leurs pulls grattent un peu sous les bras) et qu'ils prêchent la communication non violente. 
Ils échangent des regards peinés à la moindre tentative d'irruption de la violence ou de la colère, ces émotions négatives qui polluent leur spiritualité. 
Ils sont gentiment et fermement décidés à se construire un monde qui exclut tout ce qui pourrait les déranger et attenter à leur saines et écologiques certitudes.
Descendants des bien-pensants, ferment de toutes les dictatures, ils sont pourtant persuadés de faire partie de l'élite éclairée (laquelle éclaire devant elle, jamais sur les côtés, notez bien).
Ce portrait vous a ouvert l'appétit et vous vous demandez comment les rencontrer ? Rien de plus simple: pratiquez le woofing
Si l'économie collaborative ne vous dit pas grand-chose, apprenez que le woofing consiste à échanger quelques heures de travail contre le gîte et le couvert et, comme dirait l'autre, « c'est super, ça permet à des pauvres de voyager ! » 
J'en ai tâté cet été avec mon mari, notre budget vacances se réduisant à pas grand-chose. Nous avons constaté sur pièces que le machin, sous des dehors solidaires et organic, ne nous dépaysait pas vraiment : le but du jeu est encore et toujours de faire travailler un max qui se trouve du côté prolétaire du contrat. 
Le contrat de woofing ne comportant heureusement pas d'obligations de rester se faire exploiter si l'on considère que le jeu n'en vaut pas le tour de reins, nous nous sommes promptement évadés, crottés et rompus, une fois bien établi que la notion « quelques heures de travail » était plutôt flottante et sujette à une variation invariablement orientée à la hausse.
Pour nos prochaines vacances, nous nous tâtons sérieusement : don d'organes ou vente d'enfants ?