samedi 20 décembre 2014

20/12/2014, 5 h 20

Un monde d'ingénieurs  ? - Jacques Attali aime tous les présidents (Mitterrand, Sarkozy, Hollande) et réfléchit à l'avenir du monde. Il faudrait selon lui que l'école permette à tout le monde d'accéder aux écoles d'ingénieurs. Personnellement, je redoute grandement un monde d'ingénieurs. 

Imaginez ça : plus de cuisiniers (je reconnais qu'en ce moment, ça nous ferait des vacances...), plus de serveurs de restaurant, plus de vendeuses ni de vendeurs (vous avez remarqué, les vendeurs sont bien mieux habillés que les vendeuses, il faut que ça cesse !), plus de comptables, plus de balayeurs, plus de peintres en bâtiment, plus de veilleurs de nuit, plus de facteurs, plus de postiers, plus d'aides à domicile, plus d'infirmières, plus d'aides-soignantes, plus de géomètres, plus d'ouvriers de la voirie, plus d'éboueurs, plus de cordonniers, plus de... (complétez vous-même avec les métiers de vos parents, de vos amis et le vôtre, par exemple).

Lorsque Jacques Attali énonce doctement des vœux d'ingénierie totale, c'est parce qu'il est social sous ses dehors libéraux. C'est pour offrir aux pauvres une porte de sortie, un navenir meilleur et des lendemains qui chantent le 4 x 4. 

Imagine-t-il une seconde qu'on puisse ne pas avoir envie de devenir ingénieur et qu'on puisse souhaiter gagner décemment sa vie tout en exerçant une autre profession ?

Pauvres fous que nous sommes.

Mais peut-être a-t-il des visions que nous ne saurions avoir, nous qui n'avons pas le frontal surdéveloppé de l'homme pensant ? Demain, il y aurait des ingénieurs qui concevraient des robots qui feraient tous les boulots, sauf celui d'ingénieur, et des gens qui ne travailleraient pas.

Et alors, on ferait quoi ?

La mémoire courte - L'extrême gauche, qui a tendance à remplacer la gauche classique, laquelle a gentiment mais sûrement dérivé vers la droite, tente les Grecs et les Espagnols qui mangent l'austérité depuis de longs mois. L'autre jour, à la radio, un éditorialiste affirmait qu'en France la crise n'est pas si grave parce que nous avons des filets sociaux tendus de partout, ce qui expliquerait le climat conservateur qui sévit sous nos latitudes et les scores de l'extrême droite. 

Dans mon quartier, les filets sociaux, on en voit tous les trous, avec les gens qui passent à travers. La moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés et un certain nombre touchent des sommes dérisoires. Malgré l'évidence des plans sociaux tous azimuts, tous les jours, j'entends des gens affirmer avec un petit mouvement volontaire du menton  « quand on veut travailler on peut, du travail il y en a », salauds de chômeurs pauvres !

La Grèce et l'Espagne ont connu des régimes fascistes il n'y a pas si longtemps, les souvenirs sont encore frais. Chez nous, ça commence à remonter, la nostalgie fait son œuvre, il faut croire.

ismes - Grâce à Orwell, je me méfie tout autant du stalinisme que du fascisme.

Ami(e)s lecteurs et trices - Je vous embrasse, grâce à votre présence, je continue à me livrer à mes sales manies.

C'est tout, vous pouvez fumer !







mardi 16 décembre 2014

Vulgaire et accessoire

Je ne vais pas souvent chez le médecin et c'est un tort, parce qu'on apprend des tas de trucs en consultant la presse féminine dans les salles d'attente. 

Dans le ELLE du mois d'octobre :


« Le it bag, plus qu'un vulgaire accessoire, il doit être porté comme notre bébé qu'on présenterait au monde » (+ photo de grande godiche aux pieds martyrisés et à la main colonisée par un énorme bidule qui doit valoir son pesant de brouzouf)

Pour être à la pointe de la tendance cet hiver, il faut donc se munir d'un gros sac et forcer sur l'orange

Une glacière de plage, vous croyez que ça fera l'affaire ?
 





samedi 6 décembre 2014

Les auxiliaires du Père Noël

« Ça fait une heure que je filme la nuque de Robert, il est si beau avec son costume de hanneton ! »





Leur mission : empêcher les manifestants, très pacifiques et très encadrés, d'empêcher les braves gens de faire leurs courses de Noël.
Ils ont sorti l'équipement des grands jours.

Reconnaissons que ça fiche un peu la trouille.

vendredi 5 décembre 2014

R.C. Seine n° - Francis Ponge

C'est par un escalier de bois jamais ciré depuis trente ans, dans la poussière des mégots jetés à la porte, au milieu d'un peloton de petits employés à la fois mesquins et sauvages, en chapeau melon, leur valise à soupe à la main, que deux fois par jour commence notre asphyxie.
Un jour réticent règne à l'intérieur de ce colimaçon délabré où flotte en suspension la râpure du bois beige. Au bruit des souliers hissés par la fatigue d'une marche à l'autre, selon un axe crasseux, nous approchons à une allure de grains de café de l'engrenage broyeur.
Chacun croit qu'il se meut à l'état libre, parce qu'une oppression extrêmement simple l'oblige, qui ne diffère pas beaucoup de la pesanteur : du fond des cieux la main de la misère tourne le moulin.

L'issue à la vérité, n'est pas pour notre forme si dangereuse. Cette porte qu'il faut passer n'a qu'un seul gond de chair de la grandeur d'un homme, le surveillant qui l'obstrue à moitié : plutôt que d'un engrenage, il s'agit ici d'un sphincter. Chacun en est aussitôt expulsé, honteusement sain et sauf, fort déprimé pourtant par des boyaux lubrifiés à la cire, au fly-tox, à la lumière électrique. Brusquement séparés par de longs intervalles, l'on se trouve alors, dans une atmosphère entêtante d'hôpital à durée de cure indéfinie pur l'entretien des bourses plates, filant à toute vitesse à travers une sorte de monastère-pantinoire dont les nombreux canaux se coupent à angles droits - où l'uniforme est le veston râpé.

Bientôt après, dans chaque service, avec un bruit terrible, les armoires à rideaux de fer s'ouvrent - d'où les dossiers, comme d'affreux oiseaux-fossiles familiers, dénichés de leurs strates, descendent lourdement se poser sur les tables où ils s'ébrouent. Une étude macabre commence. ô analphabétisme commercial, au bruit des machines sacrées c'est alors à la longue, la sempiternelle célébration de ton culte qu'il faut servir.
Tout s'inscrit à mesure sur des imprimés à plusieurs doubles, où la parole reproduite en mauves de plus en plus pâles finirait sans doute par se dissoudre dans le dédain et l'ennui même du papier, n'étaient les échéanciers, ces forteresses de carton bleu très solide, troués au centre d'une lucarne ronde afin qu'aucune feuille insérée ne s'y dissimule dans l'oubli.
Deux ou trois fois par jour, au milieu de ce culte, le courrier multicolore, radieux et bête comme un oiseau des îles, tout frais émoulu des enveloppes marquées de noir par le baiser de la poste, vient tout de go se poser devant moi.
Chaque feuille étrangère est alors adoptée, confiée à une petite colombe de chez nous, qui la guide à des destinations successives jusqu'à son classement.
Certains bijoux servent à ces attelages momentanés : coins dorés, attaches parisiennes, trombones attendent dans des sébiles leur utilisation.

Peu à peu cependant, tandis que l'heure tourne, le flot monte dans les corbeilles à papier. Lorsqu'il va déborder, il est midi ; une sonnerie stridente invite à disparaître instantanément de ces lieux. Reconnaissons que personne ne se le fait dire deux fois. Une course éperdue se dispute dans les escaliers, où les deux sexes autorisés à se confondre dans la fuite alors qu'ils ne l'étaient pas pour l'entrée, se choquent et se bousculent à qui mieux mieux.

C'est alors que les chefs de service prennent vraiment conscience de leur supériorité : Turba ruit ou ruunt(1) ; eux, cà une allure de prêtres, laissant passer le galop des moines et moinillons de tous ordres, visitent lentement leur domaine, entouré par privilège de vitrages dépolis, dans un décor où les vertus embaumantes sont la morgue, le mauvais goût et la délation - et parvenant à leur vestiaire, où il n'est pas rare que se trouvent des gants, une canne, une écharpe de soie, ils se défroquent tout à coup de leur grimace caractéristique et se transforment en véritables hommes du monde.

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(1) La foule (ou les gens) se précipite(nt).


Francis Ponge aimait apparemment beaucoup la vie de bureau, dont il tâta dans les années 30.